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Vos défauts sont mes qualités

C’est la journée mondiale du rangement de bureaux. Mais être ordonné est-ce une qualité vraiment ?
Les traits de caractère, de façon manichéenne, ont toujours été opposés ; et si l’un est une qualité alors l’autre à l’antipode est forcément un défaut. C’est comme dire que si le Pôle Nord était le bon pôle, comme étant celui du dessus, alors le Pôle Sud est le mauvais.

Un bureau bien rangé
Quand on communique, on le fait plutôt sur le spectre des aspects positifs, des qualités. Mais rien n’est gravé dans le marbre. Ainsi en marketing, le geek est devenu tendance et donc vendeur.
Et s’il s’avérait que ce qui était alors jusqu’à présent considéré comme des défauts de personnalité était en fait des qualités ? Je ne parle pas de ces méthodes qui invitent à transformer des défauts en qualités, mais bel et bien de qualités injustement reléguées au rang de défauts.

Nous avons tellement tous été façonnés pour cela, qu’on en finit par se sentir coupable pour certains traits de nos caractères et de se justifier en affirmant avoir « le défaut de ses qualités et la qualité de ses défauts ». D’ailleurs même si ils sont considérés comme étant de « bons » défauts en entretien d’embauche , quelques uns d’entre eux sont en fait des qualités. La preuve ci-dessous.

Désordonné.e

Donc aujourd’hui c’est entres autres la journée mondiale du rangement de bureaux, initiative récente puisque la première édition a eu lieu en 2013.
Je reconnais que de temps en temps il faut faire le ménage, et le printemps s’y prête assez. C’est le temps du renouveau, le temps de rafraîchir son environnement et repartir sur des bases saines.
Seulement, le rangement ne réussit pas à tout le monde. Et je ne suis certainement pas le dernier à affirmer que je perds d’avantage la trace des choses une fois rangées, que de celles empilées en vrac  (« tel truc est dans telle pile ! »).
Pour ceux qui ont besoin d’un guide pour ranger, il y a les 5S ou O.R.D.R.E. .
Et si la plupart des personnes préfèrent une organisation verticale, vidant leur espace de travail pour remplir les étagères d’archives, d’autres sont plus pour une organisation horizontale. Ainsi John Perry, philosophe, rêve d’un autre système de classement : lui et son bureau serait au milieu d’une plateforme circulaire rotative de 4m de diamètre et sur laquelle tous les documents s’étalent, tous visibles et d’égale importance.

Le bureau ne suffit pas
Et pourquoi devrions-nous ranger ? Est-ce que le rangement fait partie de l’ordre des choses ?
Selon Eric Abrahamson, professeur de management à l’université de Columbia et David H. Freedman, journaliste, le désordre n’est pas source d’inefficacité. Bien au contraire.
Pour quantifier le désordre, le professeur Abrahamson a d’ailleurs créé l’équation du désordre, M = B1 x l + B2 x p + B3 x v + B4 x i  où l’amplitude d’un désordre est fonction de ses, largeur, profondeur, volume et intensité.
Pour Abrahamson, il vaut d’ailleurs « mieux accorder son crédit aux joyeux foutraques qu’aux maniaques travaillant sur des tables immaculées. […] Le désordre serait en effet un signe de créativité et de productivité. Mieux, il stimulerait l’efficacité du salarié et doperait le profit de l’entreprise. Le fait de fouiller dans des documents entassés, par exemple, favoriserait les associations d’idées. Et donnerait lieu à des innovations. »

Introverti.e

Autre trait de caractère considéré comme un défaut : l’introversion.
Dans des test de personnalité bien pensant, le caractère extraverti est mis en opposition à la timidité, à l’asociabilité. Sauf que l’intraverti, qui représente tout de même 33 à 50 % de la population, n’est pas timide, il apprécie juste les joies du silence ; il n’est pas associable, il aime se ressourcer dans la solitude ; et il n’est ni froid ni distant, il trouve plus d’intérêt aux échanges en tête-à-tête qu’aux rassemblements en grand comité.
L’intraverti préfèrera les conversations profondes avec deux ou trois personnes, tandis que l’extraverti sera plutôt attiré par des discussions superficielles avec une foule de gens.
Donc en ces temps d’exhibitionnisme facebooké et de déclamations twittées (et d’omni-présidents paparazzés), il s’avère que les discrets deviennent tendance, et leur caractère s’affirme en tant que qualité.
Ce que les entreprises commencent à reconnaître en laissant plus de place à l’individu et lui donnant la possibilité de répondre à son besoin de solitude (laquelle peut être un facteur important de créativité).
Et par exemple, selon les recherches d’Adam Grant de la Wharton School, en entreprise, les dirigeants introvertis ont de meilleurs résultats que les extravertis parce que quand ils dirigent des employés proactifs, ils sont beaucoup plus susceptibles de les laisser suivre leurs idées ; alors qu’un extraverti peut, bien involontairement et par enthousiasme, mettre sa propre marque sur les choses, et les idées d’autres personnes pourraient ne pas faire surface aussi facilement.

Intuitif.ive

Si ce caractère est présenté comme une qualité, dans certains milieux (dont celui professionnel), l’intuition tient plutôt du défaut. Quand il faut argumenter et que son seul argument est « c’est évident » ou « J’en ai l’intuition », cela ne fait pas le poids
Pourtant selon le mathématicien du XIXe siècle, Henri Poincarré, «c’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons ». Plus récemment Steve Jobs déclarait « ne laissez pas l’opinion des autres noyer votre voix intérieure. Et, le plus important, ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. Ils savent déjà ce que vous voulez vraiment devenir. Tout le reste est secondaire. Il faut que vous trouviez ce que vous aimez. »
En fait l’intuition, chez une certaine catégorie de personnes, n’est pas à négliger. Comme le souligne Jeanne Siaud-Facchin, « pour le surdoué, la rapidité d’association d’idées, de compréhension, d’analyse, qui provient de plusieurs sources différentes et qui s’associe de façon fulgurante, au-delà de la conscience, produit une intuition créative du résultat. Cette intuition […] n’est pas une pensée magique surgie de nulle part. […] L’écueil : en prouver et en justifier la légitimité. »
Or, il y a fort à parier que parmi nous des surdoués s’ignorent, et leur qualité d’intuition tient alors plutôt lieu de défaut, voire de frustration.

Procrastinateur.trice

Et que dire de la procrastination, le défaut qui repousse au lendemain ce qui est à faire le jour même.
Ce n’est sans doute pas une qualité, mais en revanche la procrastination structurée peut être considéré (à la limite) comme en étant une puisqu’il s’agit de travailler sur des choses importantes (afin d’éviter de travailler sur celles qui sont encore plus importantes).
John Perry, auteur de « La procrastination, l’art de reporter au lendemain », va même jusqu’à prétendre (avec l’humour qui lui est propre) que la procrastination est l’un des principaux moteurs du progrès de l’humanité. Si ça ce n’est pas une qualité !

 

Je pourrais continuer comme çà encore longtemps. Mais il est plus intéressant de savoir quels sont, selon vous chers lecteurs, ces supposés défauts que vous reconnaissez comme qualités.

Alors ?
A quand une communication positive basée sur le désordre, l’intuition ou l’introversion ?

Petite bibliographie et liens

Retrouvez les sources (et bien plus) sur le Pearltrees du blog eMandarine

Désordonné.e
« Un peu de désordre = beaucoup de profit(s) », Eric Abrahamson et David H. Freedman, Editions Flammarion
Un peu de désordre = beaucoup de profit(s) (Journal du Net)
C’est le chaos sur votre bureau (Les Frontaliers)

Introverti.e
« La force des discrets », Susan Cain, Editions JC Lattès
« La revanche des discrets », Sophia Dembling, Poche Marabout
« La force des introvertis », Laurie Hawkes, Eyrolles
6 idées reçues sur les introvertis (Le Huffington Post + Susan Cain :conférence TED soustitrée en français)
Osez la discrétion, cette subversion (Libération)
Il fallait oser… Et modestes avec ça (Le Monde)

Intuitif.ive
« Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué », Jeanne Siaud-Facchin, Editions Odile Jacob

Procrastrinateur.trice
« La Procrastination : l’art de reporter au lendemain » , John Perry, les éditions Autrement, collection Les grands mots.
Interview de John Perry dans l’émission Tracks sur ARTE