logo

Ci-gît Google 1998 – ?

C’est le printemps et pourtant il souffle comme un vent de Toussaint au-dessus de Google.

 

Et cet air ambiant un peu morbide n’est pas seulement lié au dernier service proposé par Google. Ce service, le gestionnaire de compte inactif, se propose d’assurer votre succession numérique. Après un temps prédéfini d’inactivité de votre compte Google, et en l’absence de réponse aux alertes (pour cause de mort, incapacité ou autres), vos données seront transmises à vos héritiers ou alors votre compte sera supprimé, selon ce que stipulera votre e-testament.

 

En fait, l’ambiance funèbre date d’un mois, notamment avec l’annonce de Google de fermer son agrégateur de flux RSS, Google Reader à partir du 1er juillet prochain. Rapidement des pétitions se sont montées dont celle de change.org (près de 150 000 signatures atteintes).

Une fois que vous aurez ajouté votre signature, et vu qu’il y a peu d’espoir, peut-être irez vous déposer une fleur sur la sépulture dans le cimetière prévu à cet effet par le site Slate.com.

Selon la résolution de votre écran, vous ne verrez peut-être qu’une quinzaine de services défunts à la fois. Mais en vue d’ensemble, il y en a 39 ! En fait ce n’est rien : de septembre 2011 à septembre 2012, Google a mis un terme à près de 60 de ses services.

Ce qui est intéressant dans le cimetière de Slate.com, c’est la diagonale qui part d’en haut à gauche (Google Reader) pour arriver en bas à droite (Google Glass). C’est une ligne entre deux pôles, celui de la fidélité et celui de la confiance. Ou plutôt la perte de fidélité et la perte de confiance.

 

La fidélité

Beaucoup de services Google ont disparu, soit pour être purement et simplement annihilés (Google Wave, iGoogle, Google Aardvark), soit absorbés par d’autres services (Google Bloc-Notes par Google Docs), soit recyclés (Google Docs en Google Drive, Google Vidéo en Youtube).

Si la disparition de certains produits n’a pas fait de vague (qui se souvient que Google Flu Vaccine Finder n’ait jamais existé ?), il n’en est pas de même pour Google Reader. Cet agrégateur de flux RSS, peut-être imparfait, avait entre autres mérites, d’être visible sur n’importe quel navigateur internet, de faire partie d’un ensemble de services au sein d’un même compte (Gmail, Google+, Google Drive, voire plus), de ne pas faire appel à un logiciel extérieur ou une extension, d’avoir un moteur de recherche et un cache (et accéder ainsi au moins aux titres de news disparues), … On peut comprendre que la réaction à la disparition de Google Reader ait donc été pour le moins épidermique.

 

Alors pourquoi supprimer Google Reader ?  Selon Google, l’audience était sur le déclin (alors que Google Reader est une source de trafic beaucoup plus importante que Google+).

A moins que Google Reader ne constitue que de bons résultats à court terme. Auquel cas «si des opportunités se présentent, et qu’elles nous amènent à sacrifier des résultats à court terme pour le meilleur intérêt à long terme de nos actionnaires, nous saisirons ces opportunités» expliquaient Larry Page et Sergey Brin en 2004. Deux mots étaient lâchés : « sacrifier » et « actionnaires ».

Les hypothèses vont donc bon train : Google lancerait prochainement un site de news par abonnement, et/ou, la lecture de news se faisant de plus en plus par les réseaux sociaux, Google souhaiterait transférer l’audience de Google Reader vers Google+ et renforcer ce dernier (avec revenus publicitaires à la clé).

N’est-ce pas là une erreur de la part de Google ? Parce que le premier réflexe des utilisateurs de Google Reader n’est pas forcément d’aller voir du côté des réseaux sociaux mais de voir du côté des agrégateurs de flux RSS concurrents. D’ailleurs, c’est cette voie que privilégient les rédacteurs de divers blogs sur les alternatives possibles (que ce soit chez Tom’s guide, Clubic, MarketingLand ou autre).

L’utilisateur n’est pas aussi mouton que Google pourrait le croire, et n’irait pas subir une transhumance de Google Reader à Google+ sans broncher. Il ira sans doute voir ailleurs.

 

La confiance

En bas à droite dans le cimetière de Slate.com, une petite pointe d’humour : la fosse est déjà creusée et la pierre tombale déjà gravée pour les Google Glass !

C’est peut-être plus qu’une pointe d’humour, c’est un signe d’un manque de confiance. Google qui supprime ou modifie profondément et à tour de bras ces services, ne va-t-il pas en faire de même avec les Google Glass ?

 

Google a eu cette aura de pionnier, “osant oser”. Mais maintenant, moins tourné vers l’expérimental et plus vers le rentable, ces services derniers-nés sont peu innovant et ne sont qu’une réponse, pas forcément convaincante, à une concurrence pré-existante : Google Babel (face à iMessage d’Apple, WhatsApp), Google Keep (Evernote).  Quant aux modifications dans Gmail, Google Seach et Google Image, elles se sont glogalement limitées aux apparences. L’innovation chez Google s’essouffle-t-elle ?

 

Google a également eu et a toujours cette réputation de Big Brother. Il a la main mise sur nos données et, en quelque sorte, sait tout de nous. Mais qu’en fait-il ? La réponse est simple, de l’argent.

Connaître les goûts et les préférences, les habitudes et comportements des utilisateurs c’est pouvoir diffuser une publicité mieux ciblée. C’est aussi fournir des résultats de recherche qui varient en fonction de “la tête du client”. D’ailleurs le slogan d’un concurrent de Google Search, DuckDuckGo, est “Google tracks you. We don’t” (“Google vous suit à la trace. Nous pas.”).

Le souci de respect de la vie privée est l’épine dans le pied de Google. Quand ce ne sont pas six pays européens qui s’en prennent sérieusement à la charte unifiée de confidentialité de Google, ce sont des soupçons au sujet des Google Glasses.

 

C’est donc un climat de paranoïa envers Google qui existe depuis longtemps, et qui en fait doucement s’incruste — à tort ou à raison. Ainsi, il n’est pas difficile de trouver des sites qui proposent des alternatives aux produits Google.

Avec le temps, la concurrence devient de plus en plus tentante. En matière de bureautique Google Drive, ex-Google Docs fait face à Office Web Apps de Microsoft, et Zoho.

Et, si tout ce passe comme prévu, LOOL (LibreOffice OnLine) devrait faire son apparition cette année. Si elle tient ses promesses, ce sera une suite bureautique aussi complète que LibreOffice, avec l’ensemble des fonctionnalités (et non pas une version simplifiée comme celle de Google).

 

Face à ce sentiment de défiance, Google tâche peut-être de soigner son image. Alors que Google Wave, avait été abandonné à l’open source, Google s’engage maintenant à mettre à disposition des entreprises Open Sources un certain nombre de brevets sur lesquelles l’entreprise n’attaquera pas. Mais rien n’empêchera de s’inspirer du travail effectué, puisque c’est de l’open source … et de créer son propre fork (nouveau logiciel créé à partir du code source d’un logiciel existant). Ce qui a été fait pour Blink à partir de Webkit, moteurs de rendu Web.

On croit que Google fait un geste magnanime et gratuit. Et pourtant, une fois de plus, des soupçons ne sont pas loin.

 

Ainsi, en conclusion, les pertes de fidélité et de confiance de la part des utilisateurs sont réelles, mais elles n’en touchent sans doute qu’une petite partie, peut-être même insignifiante …

Mais qui sait ? Peut-être que Google négociera mal le virage du web 3.0 (dont les Google Glasses peut en être considérés comme une émanation). En 2011,  le président exécutif et ex-PDG de Google, Eric Schmidt, reconnaissait déjà avoir foiré le virage web 2.0.

 

On voit que Google n’est pas exempt d’avoir fait quelques erreurs de stratégie. Mais de là à ce que la firme s’effondre sur elle-même … Google est devenu un géant à l’instar d’Apple ou Microsoft, qui même s’il connaît des passages à vide, peut tout à fait se relever.

Donc de toute façon pourquoi s’inquiéter ?

D’une part, Google va bien financièrement. Son chiffre d’affaire a augmenté de 31 % depuis l’année dernière, et son action a augmenté de 802,3% depuis son entrée en bourse en 2004.

D’autre part, Google annonce atteindre un milliard de smartphone sous Android à la fin de l’année. On fera abstraction du fait qu’Android est la cible préférée des virus et  malwares et que le nombre de smartphones Android infectés par des malwares a augmenté de 200% en 2012 (et pas 300% comme on peut le lire ici et là).

Enfin, seul un tiers de la population mondiale a actuellement accès au web, ce qui fera un marché des deux tiers restant à conquérir par Google d’ici à 2020, selon Eric Schmidt himself.

A moins que Mozilla lui dame le pion avec une sortie d’un smartphone Firefox OS en juin, privilégiant les pays émergents. Une stratégie payante ? L’avenir le dira.

 

Donc, ci-gît Google ? A votre avis …